Il n'est pas comme nous ...

Jacqueline, qui porte merveilleusement ses 70 printemps, habite la même rue que l’ArvernYa. C’est la grand-mère parfaite ! Elle aime les enfants, et pas seulement ses 3 petits enfants d’ailleurs. Elle a aussi 2 chiens, qu’elle promène tout le temps. Ici, tout le monde connaît Jacqueline, qui a toujours un sourire, un mot agréable pour chacun. Pimpante et pétillante, elle est veuve mais jamais seule. Elle entretient gaillardement sa propriété, et il y a toujours quelqu’un pour lui rendre le petit service qui va bien le cas échéant.

Mais, après un petit pépin de santé, elle a dû observer un peu de repos. Alors, ne voulant abuser de personne, Jacqueline a cherché sur internet une société multiservices pour exécuter quelques travaux. Son choix s’est porté sur un auto-entrepreneur dont les références sont bonnes, avec beaucoup de recommandations, espérant ainsi échapper au pire, et a bloqué un rendez-vous. Avec Arthur. Arthur, comme le petit fils de son amie Hortense ! Un garçon adorable, s’enthousiasmait-elle …

Le jour convenu, pile à l’heure, Arthur arrive. Arthur s’est brièvement présenté, puis s’est mis très vite au boulot. Tailler la haie, nettoyer l’allée en pavés, et repeindre le petit portillon, les 3 jours prévus allaient juste suffire. Mais le travail fut fait dans les temps, et bien fait ! Jacqueline avait de quoi être heureuse de la qualité du service proposé. Pourtant, pendant ces 3 jours, Jacqueline n’a pas souri, n’a pas eu ce petit mot gentil qu’elle a toujours pour tout le monde. Ce qui a surpris l’ArvernYa, de passage juste au moment où Arthur finissait de ramasser son matériel.

Inquiet, l’ArvernYa s’est porté aux nouvelles. Après quelques atermoiements, Jacqueline finit par regarder avec défiance le jeune Arthur, fils d’un couple congolais, né en France, qui tourne alors le dos pour ranger son véhicule.

- Il n’est pas comme nous, lâche-t-elle.

L’ArvernYa est sidéré. Après un bref moment de blanc, la conversation reprend :

A – Il n’est pas comme "VOUS" ? lance-t-il.

J – Non, il n’est pas comme nous, vous voyez bien …

A – Désolé, non, je ne vois pas. En quoi il n’est pas comme vous ? Il y a quelque chose de vous que nous ne connaissons pas ? Vous êtes malade ? Il y a quelque chose qui fait que vous êtes différente ?

J – Non, ne faites pas l’idiot, vous voyez très bien ce que je veux dire ! dit-elle avec le ton de ceux qui n’assument pas leurs propos.

A – Non, je ne vois pas ... En quoi il n'est pas comme vous ? Il a une tête, 2 bras, 2 jambes, un génome similaire au votre, et au mien aussi. Si, il a bien des yeux d’une couleur différente des miens, sa peau est aussi plus foncée que la mienne, et après ? Qu’est-ce qui vous gêne ? Sa couleur de peau ? Elle vous rappelle peut-être les sombres heures où l’homme de couleur, sous un soleil de plomb, travaillait dur dans les champs de coton pour son maître, l’homme blanc, qui le regardait et donnait les ordres, au frais à l'ombre ? Si vous ne vous sentez pas responsable de tout ça, où est le problème ? Le boulot est fait aujourd’hui ? Bien fait ? Ce jeune homme n’est ni meilleur, ni pire qu’un autre, il a bien bossé, c’est le seul jugement qu’aujourd’hui vous pouvez porter sur lui.

L’ArvernYa marque une pause, et reprend :

A – Son apparence est un peu différente de la mienne, et alors ? Vous avez un bichon et un terrier du Tibet, on ne peut pas dire qu’ils se ressemblent, est-ce que vous les traitez différemment pour autant ?

J – Vous mélangez tout, ça n’a rien à voir … coupe-t-elle.

Jacqueline s’est retirée prestement, sans un mot, pour s’enfermer dans sa maison.

Depuis, dans ce village d’ArvernY, les habitants savent que Jacqueline n’est pas comme eux. Et pourtant, malgré tout, Jacqueline est veuve, mais ne vit toujours pas seule …